Dépistage précoce de la dysplasie de la hanche (DH) et symphysiodèse juvénile pubienne (SJP)
CES de traumatologie ostéo-articulaire et d’orthopédie animales.
Capvéto Bellac – 16 Rue des Rochettes 87300 Bellac. www.capveto-bellac.fr
Introduction
La dysplasie de la hanche (DH), aussi appelée dysplasie coxo-fémorale, est une affection assez fréquente. Elle est rencontrée en général chez les grandes races de chiens (2) mais touche aussi les races moyennes (1-5). Elle regroupe un ensemble d’anomalies liées à l’articulation coxo-fémorale qui peut amener à une perte partielle ou totale de la fonction articulaire (1).
Sur le plan radiologique, elle est caractérisée par une incongruence articulaire, un remaniement de l’os sous-chondral compliqués secondairement par un phénomène arthrosique (5). Il est par conséquent crucial de dépister cette affection avant cette phase de dégénérescence articulaire.
La DH représente environ 71% des affections non traumatiques de la hanche du chien. Elle est bilatérale dans 93% des cas et ne semble pas présenter de prédisposition sexuelle (5).
1. Physiopathologie de la DH
Les conditions d’apparition de la DH sont multifactorielles : à la fois l’hérédité et les facteurs environnementaux jouent un rôle dans la maturation squelettique et des tissus mous environnants. La dysplasie résulterait d’un manque de concordance entre la vitesse de maturation squelettique et le maintien d’une contention correcte de la tête du fémur dans l’acétabulum (5-6).
Chez le chien dysplasique, le ligament rond est normal et tendu à la naissance. Mais vers l’âge d’un mois, ce dernier a tendance à prendre un aspect œdémateux accompagné par la déchirure de quelques-unes de ses fibres (5).
Suite à cette laxité articulaire, la tête fémorale se subluxe progressivement et vient appuyer exagérément sur la partie dorso-latérale de l’acétabulum. Il s’en suit des lésions cartilagineuses de la tête fémorale et du rebord acétabulaire dorsal, ce qui provoque à terme son remodelage. L’acétabulum tend à s’aplatir et à s’évaser (5).
Les traumas modérés mais répétés au niveau de l’articulation coxo-fémorale engendrent une synovite qui a pour effet d’augmenter le volume du liquide synovial et d’exacerber la subluxation (6). De plus, les qualités mécaniques du liquide synovial sont compromises par la perte de sa viscosité (5).
Les tractions subies par le ligament rond provoquent une inflammation qui le fait augmenter de volume. Il s’oppose donc au retour de la tête fémorale en position normale dans l’acétabulum. La capsule articulaire subit également une hypertrophie causée par l’inflammation (5).
La subluxation qui provoque l’étirement des fibres de la capsule articulaire cause de la douleur et une boiterie (6). Elle est exacerbée par des microfractures du rebord cotyloïdien. C’est donc vers 5 à 6 mois que les manifestations cliniques sont les plus importantes (5).
Chez l’animal plus âgé, c’est l’arthrose qui provoque la douleur (6).
2. Le dépistage précoce
2.1. Examen radiographique en distraction
Selon les critères de la FAO et de la FCI, le dépistage de la DH se fait après l’âge de 12 mois dans le but de faire confirmer l’animal ou de le mettre à la reproduction. A cet âge, on ne peut que constater les lésions et l’éventail thérapeutique de l’affection est limité.
Il est pourtant possible de dépister la DH précocement dès l’âge de 12 semaines (1-3). En 1990, le procédé PennHIP, permettant d’estimer précocement la probabilité qu’un chien développe une DH à l’âge adulte, a été mis au point aux USA. Il est basé sur le calcul de l’indice de distraction (ID) et l’évaluation subjective de la présence de modifications ostéo-articulaires. Les clichés obtenus sont comparés à une base de données comprenant une population de chiens de même race soumise à cette étude.
Les clichés sont réalisés sous anesthésie générale car il faut que les muscles soient complètement relâchés. Trois clichés différents sont réalisés :
En position standard FCI (figure 1A). Elle permet d’évaluer le rebord acétabulaire crânial et la sévérité d’éventuelles modifications ostéo-articulaires. En compression (figure 1B) afin d’évaluer le recentrage des têtes fémorales dans les acétabulums. En distraction (figure 1C) à l’aide d’un appareil nommé distracteur qui permet de placer les articulations dans une situation de laxité physiologique maximale.
L’indice de distraction se calcule comme étant le rapport entre la distance séparant le centre géométrique de la tête fémorale et le centre de la cavité acétabulaire comparé au rayon de la tête fémorale correspondante. ID = d/r. Un ID de 0 ou proche de 0 indique une congruence maximale, un ID supérieur ou égal à 1 indique une luxation complète de l’articulation.
Il existe deux principaux modèles de distracteurs. Un modèle américain soumis à brevet et autorisation. Il n’est possible de l’utiliser que si le vétérinaire examinateur a suivi la formation dispensée par son concepteur. C’est le système « PennHIP ».
Il est composé de deux cylindres parallèles radio transparents dont la distance d’entraxe est ajustable. Après avoir réalisé une radiographie standard qui permet de mesurer la distance séparant le centre de chaque tête fémorale, cette dernière est reportée sur le distracteur. Le chien est placé en décubitus dorsal avec le dispositif sur le pubis, entre les 2 fémurs remontés presque à la verticale. La force d’adduction appliquée par l’examinateur sur les grassets lors de la réalisation du cliché permettra d’exercer un bras de levier sur les fémurs et mettra en évidence la laxité articulaire.
L’autre système est libre de droit et accessible plus aisément. Il s’agit du système de Vezzonni. Il fonctionne globalement sur le même principe de bras de levier. Grâce à ces appareils, il est possible de réaliser une distraction des têtes fémorales par rapport aux hanches et de calculer l’indice de distraction.
Plus les hanches sont congruentes (ID proche de 0), plus faible sera le risque de développer une DH. Un ID de 30% est considéré comme acceptable.
Le tableau 1 permet d’interpréter les résultats obtenus par la détermination de la valeur de l’ID ainsi que l’évaluation des modifications ostéo-articulaires visibles radiologiquement.
2.2. Réalisation du signe d’Ortolani
La mobilisation de la hanche permet également d’apprécier sa stabilité. La réalisation du signe d’Ortolani se fait sur chien positionné en décubitus latéral, le fémur en position horizontale.
Une main stabilise la partie dorsale de l’acétabulum et appuie sur le grand trochanter. L’autre main prend le grasset et pousse le fémur proximalement pour luxer la tête fémorale. Tout en maintenant la poussée, une abduction du fémur est réalisée. Ce mouvement tend à recentrer la tête du fémur qui va réintégrer le fond du cotyle à partir d’un certain angle d’abduction.
La réintégration de la tête au fond du cotyle est accompagnée d’un bruit caractéristique et de perception d’un ressaut. On dit alors que le signe d’Ortolani est positif (7).
Même si un signe d’Ortolani positif est cohérent avec une laxité articulaire, il ne constitue pas un signe prédictif démontré du développement d’une DH clinique à l’âge adulte. En outre, une étude a montré que parmi les chiens présentant un signe d’Ortolani négatif, 50% présentaient un risque de développer une DH par l’étude de l’ID (8). Le test d’Ortolani doit donc être associé à d’autres méthodes diagnostiques pour une meilleure précision du diagnostic.
2.3. Examen tomodensitométrique
Le scanner permet également de réaliser des mesures assez précises sur la hanche. Il s’agit du calcul de l’angle AA (Acetabular Angle) et des angles DARA (Dorasal Acetabular Rim Angle).
L’angle AA est formé par la convergence ventrale des lignes qui s’étendent depuis les marges acétabulaire doroso-latérales en passant par les marges acétabulaires ventro-latérales.
Les angles DARA peuvent être mesurés en prenant la tangente entre la ligne reliant le sommet des têtes fémorales et le rebord acétabulaire dorso-latéral (3). Ces mesures permettent d’apprécier l’amélioration de la couverture acétabulaire des têtes fémorales. La figure 2 illustre ces deux méthodes de calcul et les bénéfices apportés par la SJP.
3. La Symphysiodèse Juvénile Pubienne
Il est possible d’intervenir chirurgicalement sur des sujets qui ont une laxité ligamentaire légère à modérée dans le but de minimiser le développement d’une DH clinique.
Une méthode peu coûteuse et efficace, la symphysiodèse juvénile pubienne ou SJP permet en effet de réduire le développement d’une subluxation de la hanche sur un chien à risque (2-4).
Son principe est simple : en créant une fermeture précoce de la plaque de croissance pubienne et la fusion des os immatures du pubis, la partie ventromédiale du pubis ne se développe plus, et créé un point fixe. Lorsque le bassin continue à grandir, ce point fixe provoque une rotation ventro latérale des iliums, progressive, similaire à celle réalisée lors de triple ou double ostéotomie pelvienne (TOP ou DOB). Cette rotation améliore la conformation de la hanche et la couverture des têtes fémorales par le rebord acétabulaire dorsal (1-2).
Le but de la SJP est donc d’augmenter la surface de contact entre la tête fémorale et l’acétabulum et de répartir le poids sur une plus grande surface articulaire. Elle permet en plus d’obtenir une surface de répartition de la charge plus horizontale, pour diminuer la résultante des forces au travers de l’articulation et améliorer la congruence articulaire (3).
L’intervention est rapide et comporte peu de risques (2-4) (Cf. fig.3). Le chien est placé en décubitus dorsal et tondu au niveau de la symphyse. Une dissection mousse des muscles gracile, obturateur externe et adducteur est réalisée et la symphyse pelvienne mise en évidence.
Les ⅔ proximaux de la symphyse sont cautérisés en différents points à l’aide d’un bistouri électrique équipé d’un embout plat. L’électrode est introduite dans le cartilage de conjugaison jusqu’à la filière pelvienne tandis que l’index écarte le colon et l’urètre pour éviter toute lésion lors de la coagulation (une spatule en bois peut également être utilisée pour protéger le colon et l’urètre). La cautérisation est appliquée pendant 12 secondes avec une puissance de 40 W. Plusieurs points de symphyse espacés de 2 mm sont cautérisés (3).
Les tissus mous sont ensuite refermés plan par plan et un simple pansement collé est appliqué sur la peau. Le port de la collerette peut être conseillé.
4. Limites et recommandations (3)
- Pour être efficace, la SJP doit être réalisée précocement, dès 12 semaines et en tous cas, avant 20-22 semaines. Au-delà, elle n’a plus aucun intérêt (sauf peut-être chez les très grandes races de chien qui ont encore un potentiel de croissance important à cet âge).
- Les sujets présentant une forte laxité avec un signe d’Ortolani uni ou bilatéral et avec un ID uni ou bilatéral ≥ 0,70 devraient être opérés entre 12 et 16 semaines.
- Les sujets atteints d’une laxité modérée avec un signe d’Ortolani uni ou bilatéral et un ID compris entre 0,5 et 0,69 mesuré entre 14 et 16 semaines devraient avoir une SPJ le plus tôt possible.
- Chez les sujets présentant une laxité légère avec un signe d’Ortolani uni ou bilatéral et un ID compris entre 0,4 et 0,49, la chirurgie est facultative mais ils doivent être réévalués à 16 semaines.
- Sur des chiots atteints d’une sévère laxité et d’une forte incongruence articulaire la SJP n’empêche généralement pas l’évolution ultérieure de la DH (9).
Nous rajouterons que les chiens ayant eu une SJP ne doivent en aucun cas être soumis à des radiographies officielles de dysplasie à l’âge de un an en vue d’une confirmation ou de la mise à la reproduction. C’est la raison pour laquelle nous recommandons très vivement la stérilisation des ces animaux.
De plus, lors de la chirurgie, nous marquons le pubis à l’aide d’une vis de 2 mm de diamètre, enfouie dans l’épaisseur de los. Un chien ayant subi une SJP présenté pour lecture officielle serait immédiatement démasqué par le lecteur car la vis est le signe d’une intervention antérieure sur la symphyse.
5. Conclusion
Le dépistage de la DH peut être précoce (dès l’âge de 12 semaines) et devrait être proposé systématiquement aux propriétaires de chiens à risque. Il est important d’identifier cette population et de proposer ce dépistage dès les premières consultations du chiot : vaccination, vermifugation ou identification.
Grâce à la méthode de radiographie en distraction, il est possible de prédire assez précisément l’évolution des articulations coxo-fémorales et de prévenir ou de minimiser les conséquences d’une laxité articulaire importante.
La SPJ est une technique chirurgicale simple, rapide, peu invasive, peu douloureuse et presque dénuée de complications (un sérome peut parfois apparaître les jours suivant l’intervention). Elle ne nécessite pas d’hospitalisation de longue durée et ne cause pas de morbidité importante comme certaines autres techniques. Elle est plus efficace chez les sujets présentant une laxité articulaire modérée.
Bibliographie
1) Guévar M., Snaps F. : La méthode PennHIP – un moyen de dépistage précoce de la dysplasie de la hanche dans l’espèce canine. P.M.C.A.C. 2008, vol. 43, 55-62.
2) Patricelli A.-J. & coll. : Canine pubic sumphysiodesis. Investigation of electrocautery dose response by histologic examination and temperature measurement.Vet.Surg. 2001, vol. 30, 261-268.
3) Dueland R.-T. & coll. : Canine hip dysplasia treated by juvenile pubic symphysiodesis. Part I : Two years resullts of computed tomography and distraction index. V.C.O.T. 2010, vol. 23, 306-317.
4) Dueland R.-T. & coll. : Canine hip dysplasia treated by juvenile pubic symphysiodesis. Part II : Two years clinical resullts. V.C.O.T. 2010, vol. 23, 318-325.
5) Genevois J.-P. : Dysplasie coxo-fémorale (sauf traitement). Cours du C.E.S. de traumatologie ostéo-articulaire et orthopédie animales. Semaine d’enseignement 5, du 24 au 28 juin 2013. E.N.V.T.
6) Welch Fossum T. : Hip dysplasia. In : Small Animal Surgery. Third Edition. 2007, 1233-1246.
7) Asimus E. : Examen clinique de la hanche. Cours du C.E.S. de traumatologie ostéo-articulaire et orthopédie animales. Semaine d’enseignement 5, du 24 au 28 juin 2013. E.N.V.T.
8) Puerto D.-A. & coll. : Relationships between results of the Ortolani method of hip joint palpation and distraction index, Norberg angle, and hip score in dogs. J.A.V.M.A. 1999, vol. 214(4), 497-501.
9) Vezzoni A. & coll.: Comparison of conservative management and juvenile pubic symphysiodesis in the early treatment of canine hip dysplasia. V.C.O.T. 2008, vol. 3, 267-279.
Avec tous mes remerciements à Sophie Palièrne pour son temps consacré à la relecture et aux corrections de l’article.
Mots-clefs : boiterie, chien, chirurgie, dog, dysplasie, dysplasie de la hanche, hanche, Hip Dysplasia, juvénile, limping, pubis, surgery, symphysiodèse, symphysiodesis